Break’Intellect #13 – Vous voulez vraiment travailler dans le monde du jeu vidéo ?

Vous êtes enthousiaste, vous êtes un amateur de speed run sur Mario 64, vous avez même participé à une ébauche d’embryon de truc qui ressemblait vaguement à quelque chose de professionnel et qui affichait Hello World ! et voilà que la Lumière fût et que vous vîmes que c’était bon : le monde du jeu vidéo vous appelait ! Etait-ce une hallucination ou avez-vous réussi à prendre Excalibur en main pour montrer à l’univers entier que vous étiez du métier ?

Le gaming, la vie en rose ?

Commençons par le commencement, c’est-à-dire le moment où tout a commencé, au commencement donc. Mais quel commencement ? Pong ? OXO ? Tennis for two ? Rien que sur ce sujet il y a des polémiques, et peut-être même que vous n’en connaissez qu’un des trois, celui dont tout le monde a déjà ouï : le fameux simulateur de ping-pong, Pong, le Ping étant un terme technique dont vous aurez besoin pour d’autres aventures online. Du coup, rétrospective. Les débuts du jeu vidéo sont avant tout une affaire de bricolage et de passionnés. Lesquels, originellement appelés geeks avec un net accent qui rendait le terme péjoratif, sont (presque) devenus les maîtres du monde : Bill Gates, Steve Jobs, Nolan Bushnell (ah nan pas lui, déformation professionnelle…), Mark Zuckerberg et toute une galerie de milliardaires anarchistes de droite – oui, ça fait toujours bizarre les oxymores. Le monde est dirigé par des personnages souvent aussi bigarrés que Sheldon dans Big Bang Theory. Par là je veux bien sûr dire qui ont une collection gigantesque de t-shirts plus ou moins drôles. Bref… pas de philosophie politique ici (en tout cas un autre jour peut-être).

Du coup, vous voulez en être ! L’industrie du jeu vidéo a fêté ses 50 ans et vous débarquez comme une fleur avec la main sur le coeur, prêts à jurer fidélité éternelle à ce que certains considèrent – à juste titre – comme un art à part entière. Bon, pour le moment vous avez juste fait un petit coucou sur un écran mais il est évident que vous allez tout révolutionner. Non ? Bah… les choses ne sont pas aussi simples, très chèr.e.s. L’idée de base reste toujours : travailler dans le monde du jeu vidéo. Bien ! Mais pour y faire quoi ? Coder, créer de jolis payasages en pixel-art, diriger des équipes, les financer ? Ou alors en parler en long en large et en spirales dans le cadre d’une profession qui vous est apparu comme le Saint Graal enfin atteignable : journaliste jeux vidéo. Problème ? E-nor-mé-ment d’aspirants et peu d’appelés sur le front. La désillusion ne s’arrête même pas là en plus de ça. Vous croyiez que vous alliez jouer 300 heures à Baldur’s Gate et écrire une éxégèse classieuse et inspirée avec comme deadline celle qui vous siéra ? Désolé, les enfants, le journalisme est mourant et Xavier Niel est sur la brèche pour en finir à tout jamais. L’Angsoc de 1984 est en préparation depuis fort longtemps et la novlangue vous empêchera même de penser. Mais vous avez la foi, vous savez que vous vous en sortirez, d’ailleurs vous avez presque 15 jeux sur votre PS5 ! Pour la blague, il en est qui en ont des milliers sur Steam. Cela rend-il professionnel ? A tout le moins ça montre que vous êtes un passionné, ce qui, bien que que ce ne soit pas une condition suffisante est la condition sine qua non. Vous êtes déjà dégoûté ? La barre est trop haute ? Vous n’avez encore rien vu.

Prenons la profession de codeur. Pour quelques happy few, c’est le panard, pour beaucoup d’autres c’est la débandade. Les codeurs de jeux vidéo, au final, passent souvent, sinon systématiquement, plus de temps à corriger des bugs, les leurs ou ceux de leurs collègues, qu’à être des artistes libres. Et rectifier le tir en matière de programmation, ce n’est, vous en conviendrez, pas aussi entraînant que gambader dans le monde de Skyrim. Du coup, vous pensez peut-être que vous auriez tout aussi bien pu être testeur en interne chez un développeur pour repérer ces fameux bugs, qui plus est si on vous propose de le faire sur un jeu AAA que vous attendez depuis plus de 7 ans. Patatrac… Car ce ne sera pas aussi amusant que vous le pensiez. Votre travail ne consistera pas seulement à repérer les failles en parcourant librement la géographie du jeu mais à repérer toutes les erreurs possibles, un peu comme si vous aviez des quêtes Fedex dans un jeu de rôle. Vous essayez tout et n’importe quoi avec le matériel dont vous disposez, vous reportez et vous recommencez. Quand vous aurez passé 35 heures de votre semaine à faire ça, il est garanti que vous allez apprécier le week-end. Or, dans le développement de jeux vidéo, le week-end est un concept antique qui fait son chemin vers l’oblitération. Dans les moments de crunch, quelle que soit votre fonction, vous allez avoir l’impression qu’on vous fouette le coeur à coups de caféine pour que le jeu sorte en temps et en heure. La fameuse deadline. Souvent, les devs arrivent à en repousser l’imminence, parce qu’il faut bien reconnaître que dès que votre bébé tombe sous les barre des 85% sur Metacritic, il y a de l’eau dans le gaz et ceux qui tiennent les rênes vous menacent de vous couper les vivres. En même temps, 85% c’est pas trop mal comme score. Mais le jeu vidéo est une affaire de gros sous et c’est là que le bât blesse : jusqu’ici vous étiez vaillant et volontaire mais les impératifs du Kapital priment quoiqu’il arrive. Bien sûr, il y a des studios indépendants et il faudra leur rendre grâce dans un prochain numéro.

Du coup, on fait quoi ? Vous voulez vraiment travailler dans le monde du jeu vidéo ? Une petite fée me sussure à l’oreille que oui. Après, c’était votre rêve d’enfant et les geeks sont de grands enfants qui ont 16 ans depuis 25 ans. La tâche ne sera pas simple, dans l’espace il y a des batailles (Sankukai), il vous faudra de la ténacité, de l’endurance, de la patience et tout un tas d’autres qualités utiles à faire la différence. Mais lorsque vous aurez pénétré le saint des saints (la salle de projection de Diablo V) avec votre pass pro ou presse, vous allez sentir quelque chose monter le long de votre colonne vertébral qui s’apparante à une joie immense qui remplit vos tripes. Rien que ça ? Les développeurs sont tout d’accord pour dire qu’accoucher d’un jeu populaire et bien coté par la critique est une libération qui mérite champagne et pizza garnie. Parce que le stress peut durer des années suivant les ambitions des développeurs ou selon les desiderata de ceux qui les nourrissent. A ce titre, les choses ont un peu évolué avec le phénomène Kickstarter, des studios indépendants peuvent désormais se passer de business angels ou d’une direction exécutive intraitable. On y est toujours, tout cela n’a pas réussi à vous dégoûter, mais pour l’instant vous êtes encore moins connu que la femme du soldat inconnu. Il va falloir faire vos preuves.

En premier lieu, si vous voulez créer des jeux, il vous faudra intégrer une équipe de guérilleros du C++ et d’indisciplinés du PHP. Il est des développeurs qui savent un peu tout faire, mais iceux sont les perles qui dirigeront vos efforts à respecter le protocole de loops. Ils ont de la bouteille et parfois, pour avoir de la bouteille, il faut avoir débuté dans le jeu vidéo bien avant le changement de millénaire, celui que Paco Rabanne avait promis être le dernier. Nonobstant cela, les éditeurs aiment bien la chair fraîche et les idées neuves. C’est une chance pour vous ! Ne craquez pas tout de suite, lectrices et lecteurs. Tout est possible avec un peu de ténacité. Il s’agissait là simplement de faire un court apparté pour vous faire comprendre que les employés de Disneyland ne voient pas le même parc d’attraction que vous.

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